Né en 1963 en région lausannoise où il réside, Alain Haerri vient d’une formation scientifique qu’il met au service d’une recherche artistique atypique.
Très tôt, il développe une œuvre qui s’inscrit dans le domaine de l’art cinétique, un champ de création interrogeant la relation entre geste, perception et temporalité. Fasciné par le langage infini qu’offrent certains mécanismes simples, il développe des projets dans lesquels des objets ordinaires s’animent grâce à des systèmes électroniques, programmés avec des algorithmes de sa composition.
Le résultat : des installations où rythme, imagination, humour et poésie visuelle dialoguent en laissant une place à l’aléatoire.
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« Sans titre », 2019, 100 x 100 cm, 576 modules mécaniques montés sur une grille régulière, plaquettes recouvertes d’aluminium fin (surface réfléchissante),
système motorisé individuel pour chaque module, contrôle par séquence numérique centralisée, structure rigide, fixée au mur.
« C’est un tableau sans image, mais qui change sans cesse. Il ne montre rien, il réagit, il habite l’espace. » — A.H.
Une œuvre silencieuse et absorbante. L’aluminium, matériau pauvre et industriel, devient ici source de poésie, en captant les moindres variations de lumière. Derrière la surface, 576 petits mécanismes sont alignés avec rigueur. Chacun est contrôlé par un servo moteur, qui modifie légèrement l’orientation de la plaquette. Ces mouvements sont très lents, parfois imperceptibles à l’œil nu, mais produisent un effet d’ensemble ondulant, vibratoire, quasi organique. Le système de contrôle est entièrement programmé, permettant de : générer des motifs mouvants (vagues, pulsations, expansions), désynchroniser certains modules pour créer du hasard apparent, simuler des comportements collectifs ou phénomènes naturels (comme le vent, les ondes, les scintillements).
Le tableau semble à la fois calculé et instable, géométrique et émotionnel. Il n’est ni décoratif ni figuratif, mais hypnotique, presque méditatif. Il convoque l’attention, la patience, et une forme de présence attentive.
Ici, trois vidéos de l’œuvre :
« Sans titre », vidéo numéro 1
« Sans titre », vidéo numéro 2
« Sans titre », vidéo numéro 3
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« Kinetic little rain », 2022, verre et mécanique.
Inspiration et principe
L’œuvre s’inspire directement de la célèbre installation Kinetic Rain de l’aéroport de Singapour, mais avec une approche personnelle et intime. Alain Haerri a imaginé une pluie abstraite faite non de métal mais de gouttes en verre soufflé, au nombre de 100, mises en mouvement par des moteurs pas à pas sophistiqués .
Chaque goutte est suspendue sous un moteur pas à pas et programmée pour suivre un motif chorégraphié – une chute, une suspension, une remontée – dans une dynamique subtile, organique, à la fois hypnotique et silencieuse.
Un dispositif technique sur mesure
Chaque goutte est pilotée par son propre moteur pas à pas indépendant, contrôlé par un module Tic T500 .
L’ensemble est orchestré via une electronic Arduino Mega 2560, qui envoie les commandes aux contrôleurs pour coordonner les mouvements des gouttes .
Ce dispositif offre une grande souplesse : séquences variées, rythmes modulables, effets aléatoires ou synchrones.
Une danse hydraulique abstraite
L’ensemble génère une pluie de verre sans eau, une chrysalide visuelle suspendue. Les gouttes ne tombent pas en continu ; elles flottent, chutent, remontent, chacune à son rythme, créant une chorégraphie irrégulière. Grâce à la précision des moteurs, la forme globale demeure fluide, jamais statique.
Sans capteur de présence, l’œuvre est autonome : elle fonctionne en boucle, évolue selon son propre agenda, sans intervention humaine, tout en gardant une impression de spontanéité.
Poétique du geste mécanique
Kinetic Little Rain ne cherche pas à imiter la nature, mais à évoquer son rythme. L’installation capte les tensions entre la lourdeur matérielle (verre soufflé) et l’agilité mécanique, entre lenteur contemplative et précision algorithmique. Elle rend visible l’invisible : le souffle, le silence, le mouvement imperceptible.
L’œuvre s’adresse autant à l’œil qu’à l’écoute : le son feutré des gouttes en mouvement vient ponctuer le spectacle visuel, dans une ambiance quasi méditative.
Ici un vidéo de l’œuvre :
« Kinetic little rain », vidéo
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« Kinetic parasol cocktail », 2018, papier, bois et mécanique.
« J’aime détourner des objets anodins, leur donner une autre vie. Les parasols de cocktail ont quelque chose de fragile, de presque ridicule, mais quand ils bougent lentement, ils deviennent étrangement émouvants. » — A.H.
Avec Kinetic Parasol Cocktail, Alain Haerri transforme un objet léger, décoratif et souvent oublié — le petit parasol en papier des verres de cocktail — en une sculpture cinétique chorégraphiée, pleine de poésie et de décalage. Ce qui, à première vue, pourrait ressembler à une composition festive ou kitsch devient, en s’approchant, une mécanique sensible, où chaque parasol s’ouvre, se ferme, oscille ou reste immobile selon une logique invisible, orchestrée par une programmation minutieuse.
Une chorégraphie motorisée
L’œuvre est composée d’un ensemble de parasols colorés. Chacun est actionné par un petit servomoteurs, qui contrôle le geste simple mais délicat de l’ouverture et de la fermeture. Le tout est piloté par un microcontrôleur programmable ,
Les séquences sont asynchrones, souvent irrégulières. Certains parasols s’ouvrent à moitié, d’autres très lentement, d’autres encore restent immobiles pendant plusieurs minutes, avant de se mettre en mouvement sans prévenir. Cette absence de synchronisation volontaire crée une impression d’individualité : chaque module semble avoir son propre rythme, comme s’il respirait à son gré.
Poésie du quotidien automatisé
Sous ses dehors légers, Kinetic Parasol Cocktail questionne la programmation du vivant. Peut-on insuffler une forme de vie à des objets de papier, simplement par la répétition lente et le mouvement subtil ? Peut-on ressentir de l’empathie ou de la curiosité face à des éléments aussi simples, dès lors qu’ils semblent animés d’une volonté propre ?
Inspiré actuellement par les recherches de Cruz-Diez et plus largement par les grands noms de l’art cinétique non-motorisé, tels Sotto ou Agam, l’artiste propose ici des tableaux que nous animons en nous déplaçant. Dans ce nouveau jeu d’optique, c’est le spectateur qui crée le mouvement.
Il associe couleurs vives, tonalités subtiles et vibrations. La couleur n’est plus une pigmentation fixe, elle devient événement onirique, phénomène animé.
Les composantes de l’œuvre ne sont jamais permanentes. Elles se fragmentent, se recomposent, générant des géométries latentes et des rythmes variés au gré de la lumière du jour, des éclairages, de l’ambiance du lieu. Les tableaux « bougent » littéralement sous notre regard.
Derrière la simplicité apparente de l’illusion d’optique se cache la précision extrême, millimétrique, des interractions de tons, des dégradés, des influences diverses, prenant en compte l’indice de réfraction du matériau. Le résultat final est captivant, ludique et vivant.